Extrait de la préface de Jean-Pierre Urbain:

Trilogie de la mésaventure,
ou Les tarasconnades de Tartarin, une tragicomédie

«Qui de nous n'a eu sa Terre promise, son jour d'extase et sa fin en exil?»
Henri Frédéric AMIEL

Roman, pièce de théâtre, recueil de contes, lettres ou poèmes, l'objet de cette préface n'est pas de présenter un ouvrage, même inédit, du célèbre écrivain provençal. D'autres l'ont déjà fait, fort bien, et sans nul doute le referaient si l'on venait à trouver demain quelque manuscrit inconnu de ce grand poète du Midi, devancier de Giono et de Pagnol au panthéon des hommes de lettres méridionaux, qui, ami de Mistral mais aussi de Flaubert, Tourgueniev ou Zola, encouragea le jeune Proust et fut traduit par Henry James. Cette préface n'a pas pour autant la prétention de réintroduire à l'oeuvre de Daudet, prénom Alphonse, ni à l'homme lui-même, né à Nîmes le 13 mai 1840, et à sa vie, qui, entre Provence, Paris et divers voyages (en Algérie, Corse ou Suisse; à Munich, Londres et Venise), fut celle d'un auteur complet, tour à tour dramaturge, mémorialiste, conteur, chroniqueur, feuilletoniste, journaliste, critiqué et bien sûr celle d'un romancier, dont le génie n'est réductible ni à l'expression poétique et joviale d'une région pittoresque, ni à la seule intelligence satirique d'une sociologie provinciale.
Diagnostiquée par Charcot en 1885, c'est dès 1878, année de la naissance de son second fils, Lucien, que Daudet ressent, consécutives à la syphilis, les premières atteintes d'une maladie incurable de la moelle épinière. Faisant du reste de sa vie un long supplice, elle l'emportera vingt ans plus tard. Dans son «livre de la Douleur», auquel il travaille depuis 1884 - des carnets qui seront publiés après sa mort, où il tient le journal de bord de son mal -, Daudet relatera les progrès et les effets de cette affection dégénérative. C'est en sa propriété de Champrosay, près de la forêt de Sénart, qu'il en mourra subitement, le 16 décembre 1897, au cours d'une réunion de famille. Ainsi, contrairement à ce que laissent entendre les dictionnaires, Daudet n'est pas mort à Paris mais dans l'Essonne, légèrement à l'écart de la capitale, tout comme Tartarin meurt non à Tarascon mais aussi non loin de là, à Beaucaire, sur l'autre rive du Rhône, son Styx en quelque sorte...
Mais revenons à Paris. En dépit d'un tropisme méditerranéen avéré, voire affiché, plus une existence vagabonde à l'appui - Lyon, Aies, Paris seront les étapes du trajet migratoire de sa jeunesse, auquel s'ajouteront de nombreux retours et séjours dans le Sud, en famille, chez Mistral ou ailleurs; son voyage de noces dans le Midi, en 1867; ses cures de santé répétées, en particulier à Lamalou-les-Bains, dans l'Hérault, jusqu'en 1890, et ses périples à l'étranger - en Afrique du Nord et en Europe -, il reste que Daudet aura malgré tout passé la plus grande partie de sa vie dans la capitale, si bien que cinq jours après son décès à la campagne, il y sera enterré. Loin de sa terre provençale, son dernier voyage le conduira dans la plus vaste et la plus historique des nécropoles parisiennes, qui fut notamment le théâtre de violents combats lors de la Commune, ce que Daudet évoque d'ailleurs dans un de ses Contes du lundi.
Après une messe à l'église Sainte-Clotilde (consacrée basilique en 1857), durant laquelle on joua les motifs de l'Arlésienne à l'orgue, le défunt fut transporté au cimetière du Père-Lachaise. Accueilli dans la chapelle funéraire d'une famille amie, sise chemin Molière et La Fontaine; 26e division, 2e ligne, il y repose toujours. C'est Zola, prononçant l'oraison, qui ponctuera des obsèques qui, ce 21 décembre 1897, eurent donc lieu quarante ans après la première venue de Daudet à Paris où, âgé de seulement dix-sept ans, il arriva par un jour de Toussaint. Ce 1er novembre 1857, Alphonse fut alors accueilli par son frère Ernest, à l'Hôtel du Sénat, 7, rue de Tournon, 6e arrondissement, dans un immeuble qui existe toujours et où, un an plus tard, âgé de vingt ans, s'installa Léon Gambetta, qui y résida de 1858 à 1861.