Extrait de l'avant-propos

Les rues de New York sont saturées de sang.
Ce n'est pas une simple métaphore. Des générations entières d'habitants de la plus grande ville des États-Unis ont perdu la vie sous les rouages du progrès. Ils ont été percutés par des taxis, des bus ou des rames de métro; ils se sont écrasés sur le trottoir au pied des gratte-ciel; ils ont péri carbonisés dans l'incendie d'immeubles vétustés et surpeuplés; ils ont été désintégrés par l'explosion soudaine d'une bouche d'égout; électrocutés par la chute de fils téléphoniques; agressés, poignardés ou abattus par des criminels pervers et désespérés; tués par balles dans la rue par un membre de leur famille, un ami, un amant; exécutés par des agents de police; ou même réduits en cendres par des avions de ligne terroristes jetés sur le flanc d'un building. Des milliers d'anonymes, peut-être des millions, ont succombé aux périls engendrés par les dysfonctionnements municipaux, les souffrances croissantes d'une métropole contrainte de s'adapter à des bouleversements démographiques foudroyants, des conflits internes, des changements sociaux dévastateurs dont nul n'avait pris la mesure.
Ces dernières années, New York s'est autoproclamé «grande ville la plus sûre d'Amérique», avec un aplomb confondant, comme si au cours du demi-siècle précédent toute l'histoire de la ville n'avait été qu'un mauvais rêve.
Pourtant, il n'y a pas si longtemps, New York était au bord de l'autodestruction. A partir des années 1960, une atmosphère inquiète et menaçante contamina rapidement le système sanguin de la métropole. Avec pour conséquence une hausse vertigineuse du taux de criminalité, telle que la ville n'en avait jamais connu. Pour la première fois depuis la grande Dépression des années 1930, la violence devint le quotidien des cinq boroughs de New York: une réalité tangible, concrète. Des citoyens se faisaient agresser à coups de poing ou de batte sur le chemin de l'épicerie du coin pour le peu de monnaie qu'ils avaient dans les poches. Des junkies en manque, armés et prêts à tout, escaladaient les toits et les escaliers de secours pour cambrioler les appartements, les bureaux, les voitures. Des violeurs rôdaient dans les rues, la queue au vent. Il y avait toutes sortes d'homicides, la plainte assourdie des sirènes dans la nuit, l'acre puanteur d'une ville en décomposition.
Le présent ouvrage retrace cette période de dix ans au cours de laquelle New York entama une descente aux enfers désormais légendaire. Entre 1963 et 1973, la criminalité se transforma en un véritable virus qui paralysa le corps politique. Cet essor stupéfiant de la violence contre les personnes engendra la panique, laquelle entraîna à son tour un surcroît de violence. L'hostilité croissante entre les différentes communautés de la ville alimenta cette ambiance de paranoïa. Les communautés établies de longue date comprirent que la ville entrait dans une période de transition, et ce qui s'annonçait n'avait rien de réjouissant. Tout ce qu'on pouvait dire, alors, c'est que New York subissait une évolution, se dirigeait vers quelque chose - mais quoi? L'enfer urbain sur terre? L'Apocalypse? Des jours meilleurs dans l'au-delà?