C'est à partir de L'Idiot que Dostoïevski cherche les contours d'un personnage qu'il nomme le "Christ russe", incarné par l'Aliocha des Frères Karamazov, le Makar de L'Adolescent, il ne prendra sa véritable mesure que sous les traits du prince Muichkine. "Un homme complètement beau...", doté d'une extrême candeur qui le fait passer aux yeux de ses semblables pour un simple d'esprit. Mais plutôt qu'un imbécile, il est l'image de l'innocence qui prodigue le bien. Arrivé de Suisse, autant dire de nulle part, sans parents - il est issu de rien - le prince Muichkine prend place au centre d'un tourbillon de vanité, de passion, de violence et d'orgueil qui se joue sous ses yeux ébahis et dont il sera malgré lui à la fois le sujet et l'acteur. À l'ombre de ses accès de fureur, le Prince perçoit des êtres à l'âme tourmentée en proie à de multiples souffrances dissimulant néanmoins les plus grandes vertus. Ainsi incarnera-t-il le double positif de ces esprits perdus, qui dès lors lui demanderont tout : Nastasie de la sauver, Aglaé de l'aimer, Rogojine d'être son frère... Lui, animé de compassion et de pitié, mais peu enclin à l'amour, finalement impuissant, cristallisera peu à peu leur haine en retour. --Lenaïc Gravis et Jocelyn Blériot